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TEXTES D'HUMEUR OU D'ACTUALITE, ECRITS A LA VA-COMME-JE-TE-POUSSE, ET QUI N'ONT PAS VOCATION A ETRE REPRIS EN RECUEIL

 

29 JANVIER 2016

 

La place des femmes, dans notre société, est subalterne. Par exemple, à la dernière réunion du MEDEF, il n'y a aucune femme. Par exemple, à Angoulème, il n'y avait aucune femme sélectionnée au Grand Prix avant qu'on en sorte une du chapeau suite à la pression publique. Par exemple, dans le cinéma, le nombre de femmes qui décident des films est ridiculement bas.
Par ailleurs, les féminismes engagent leurs militants-es et leurs sympathisants-es à combattre pour davantage d'égalité. C'est à dire, si j'ai bien compris, notamment pour qu'il y ait davantage de femmes au MEDEF, davantage de femmes à Angoulème, davantage de femmes aux postes de pouvoir dans le cinéma, en polique, dans l'industrie ou ailleurs.
Je ne suis pas certain, à la réflexion que cette ambition (ou ce projet) puisse être un succès.
Je ne le suis pas, car je crois que si les femmes sont minoritaires, ça n'est pas en raison d'un défaut d'organisation de la société, qui ne serait pas équilibrée, mais en raison d'un défaut dans sa nature même, qui la rend fondamentalement injuste. La société est construite sur des prémisses et des valeurs fausses et tarées, et je ne crois pas que ça soit réparable – pas plus qu'on ne soigne le cancer avec des antidouleurs. Le pouvoir est mauvais. Le pouvoir est maléfique par nature, corrupteur, dégueulasse, c'est un poison mortel et il tue tout le monde, absolument tout le monde. Vouloir mettre des gentils au pouvoir à la place des méchants, cela revient simplement à jeter des Saints en Enfer et à espérer qu'ils vont éteindre le feu.
C'est une société phallocrate et tout ce qui la constitue, tout ce qui la justifie, tout ce qui la rend possible, est phallocrate. Ses règles sont phallocrates, son mode de pensée est phallocrate. Sa philosophie, sa morale, sa métaphysique, sont soumises au phallus, qui n'est pas du tout un symbole de virilité mais bel et bien celui de la Puissance, dans toute son obscénité, qui n'a rien à voir avec les bites qui pendent ou se dressent entre les jambes des hommes, mais tout à voir avec l'épouvantable volonté de conquête et de domination qui tient debout ce monde pourri.
Ca n'est donc pas en militant pour injecter plus de femmes aux postes de pouvoir que ça changera. S'il y avait 50% de femmes au MEDEF, à l'Assemblée Nationale, partout, notre société ne deviendrait pas juste pour autant. Elle serait toujours une société phallocrate, avec davantage de femmes pour la faire fonctionner. Vous objecterez : si davantage de femmes sont aux pouvoirs, alors elles pourront corriger la nature inique de cette société, et la conduire à être non plus une société phallocrate gouvernée par des femmes, mais une société égalitariste. Je ne crois pas. Partout où qui que se soit exerce un pouvoir, le Pouvoir demeure. C'est une tautologie dont on ne sortira pas vivant.
À mon avis, la solution ne réside donc pas dans la tentative (louable, respectable, digne d'admiration) de certains-es d'amender cette société pour la rendre plus mixte, moins raciste, plus tolérante, moins injuste, mais dans sa mise à bas, dans sa destruction, de fond en comble, toutes les têtes des oppresseurs au bout d'une pique, et dans la construction d'une nouvelle société, qui sera mixte, non-raciste, tolérante et juste, rejetant le Pouvoir, édifiée sur les cendres de la nôtre et peuplée d'individus essayant très fort de comprendre ce qui avait foiré, pour ne pas le reproduire.
Nous vivons depuis bien, bien longtemps dans ce monde. Il est peut-être temps d'arrêter de vouloir le réparer et d'admettre qu'il ne marche pas et qu'il faut tout brûler.

 

17 JANVIER 2016

 

L'histoire récente de l'art, et celle du divertissement, puisqu'il apparaît maintenant, des plates théories de qu'énonce Philippe Djian jusqu'aux enfilages de perles que suscitent les commercialisations de tel ou tel jeu, film, disque ou autre, qu'il s'agit de deux histoires confondues et même d'une histoire unique, en fait, dont les fils épars seraient enfin rassemblés, Bach, Bowie, Bénabar, Mario Bros, Star Wars, Luc Besson et Bergman dans la même fosse commune et que le meilleur gagne, l'histoire récente de l'art et du divertissement, disais-je, m'apparaît de plus en plus comme une histoire de la transgression consensuelle, du spectacle, à destination d'un public faussement choqué (mais il est plus gratifiant de singer le scandale que d'admettre l'ennui, quand l'entrée est payante), du spectacle, donc, des faux tabous que l'on brise pour de faux, des ordres moraux en carton-pâte que l'on pourfend pour rire. Et pendant ce temps, les vrais tabous, les ordres moraux réels, ronflent du bon sommeil de celui qui a bien travaillé aujourd'hui, et travaillera bien demain.

 

14 JANVIER 2016

 

Ma mère était ce que j'appellerais une féministe sauvage. Quand elle en avait marre de "faire la bonniche" (comme elle nous disait, à mon père et moi, en nous traitant parfois de connards), elle s'asseyait à table et ce qui était sûr, c'est que celui qui la convaincrait de se lever pour aller préparer le repas n'était pas encore né. Qui pourrait la blâmer pour ça ? Personne. Le problème, c'est que si mon père ou moi nous approchions à moins de trois pas de la cuisine, on se prenait une assiette dans la gueule. Alors, quand la bonniche se mettait en grève, on sautait un repas. Enfin, quand j'y repense, surtout moi. Eux, ils avaient le pastis, ça tient bien au corps et ça coupe la faim.

 

11 JANVIER 2016

 

Allez, tiens, moi aussi j'ai un souvenir lié à Bowie. Il y a une demi-douzaine d'années, quand j'ai hérité de la baraque de mes parents, je venais de quitter la mère de mon fils, et vivais dans le canapé d'un copain en attendant de trouver un appart – la mort de la vieille, et l'héritage corollaire, me remplirent donc de joie.
Débarquant à la fameuse maison (dans laquelle je n'avais jamais vécu, mais que j'avais eu l'occasion de visiter une fois ou deux), je découvris un taudis rempli de meubles à moitié détruits (une semaine plus tard, une baleine en acier d'un mètre de long, jaillissant du canapé tel un éclair de mort, manquerait transpercer l'ami qui avait eu l'imprudence de s'asseoir dessus), de tapis gris à force que l'animal qui avait vécu là y ait dormi (je ne parle pas de ma mère mais de son fox-terrier), et d'une odeur hésitant entre le chenil de l'apocalypse et l'arrière-boutique d'un brocanteur mort de la peste, qui imprégnait tout, des plafonds jaunis par le tabac aux sols collants de crasse, de l'intérieur des meubles que j'avais l'audace d'ouvrir aux papiers peints gondolés par l'humide. Moisissures diverses, fonds d'alcool coagulés dans les nombreuses bouteilles hantant les placard, fenêtres si sales qu'on entendait le soleil griffer le verre pour entrer, tout ça entouré d'un village comptant quatre pharmacies pour trois mille habitants, dire que je me suis senti immédiatement chez moi serait un peu exagéré – mais ça l'était, chez moi : ce lit où mon père était mort, ce matelas aux tâches jaunes plus grandes que mon torse, ces dizaines de bombes de laque abandonnées un peu partout, ces multiprises figées dans vingt ans de graisse de cuisson qui me toisaient d'un air menaçant, la collection complète de l'Almanach Vermot, tout ça m'appartenait. Je n'avais du reste nulle autre part où aller. Je n'avais pas non plus le moindre rond pour acheter quoi que se soit à part un peu de nourriture, il fallait donc que je m'y fasse, c'était ma nouvelle maison, j'étais propriétaire, j'avais changé de statut.
C'est dans ce contexte que, explorant le grenier, je suis tombé sur une chaîne pas vraiment hi-fi et sur l'impressionnante collection de vinyles de mes parents, qui me fit remonter quelques souvenirs du fond des âges : dimanches entiers à écouter Nana Mouskouri, Mireille Mathieu ou des chansons paillardes yougoslaves (ma mère était nostalgique de son pays d'origine), Michel Sardou ou encore les plus grands succès des Beatles interprétés par le célébrissime orchestre Ambiance Jeunesse Actualité (je n'invente évidemment rien) – et, au milieu de tout ça, le deuxième album de Bowie, dont on se demande bien ce qu'il foutait là, le pauvre. Comme je n'avais ni lecteur mp3, ni ordinateur, ni rien pour lire de la musique, ni musique de toute façon (je mettrais plusieurs semaines à récupérer mes diverses affaires), Bowie est aussitôt devenu mon meilleur ami. Mais la chaîne déconnait, et je vous assure qu'écouter Ground control to major Tom en boucle, pendant trois jours, au semi-ralenti, avec de petites pertes de tensions dues au léger voilage affectant le disque, dans une maison qui vous fait penser à ce qu'aurait pu être Amityville si les mecs de la ZAD y avaient vécu pendant une dizaine de mois, et ne rien faire d'autre que ça, est une drôle d'expérience. Aujourd'hui, quand je pense à tous ces gens qui écoutent Bowie parce qu'il vient de mourir, je me dis que je suis probablement le seul a avoir fait l'inverse.

 

6 DECEMBRE 2015

 

Il y a derrière tout ça une jouissance secrète, inavouable. Le retour de l'événement, la chape grise qui recouvrait nos existences et qui soudain, tant la secousse est forte, s'abat, et le soleil et le vent à nouveau sur nos peaux qui en avaient perdu le souvenir. Comme une capote de mort enfilée sur nos sexes (pour ceux qui l'ont bandé) ou enfoncée dedans (pour celles qui l'ont mouillé) et qui d'un coup nous est arrachée, la sensation vive revenue avec force. Comme du plâtre qui scellait nos paupières, narines, bouches, et tout ça craquelé, tombé en morceaux et l'éclat du monde, son odeur, son goût, nous ont frappés. Nous avions oublié ce que cela faisait. On a violé nos pyramides où nous dormions sans rêve. On a brisé les serrures qui maintenaient fermés nos sarcophages, on a fracassé ce silence que nous aimions tant. On nous a forcés à quitter notre tombeau, qui nous avait paru si complaisant, et dehors c'est si inconfortable, si incompréhensible.
Ils ont voulu nous tuer ? C'est donc que tout ce temps nous étions vivants ! Et nous l'avions oublié.

 

27 NOVEMBRE 2015

 

Peut-être que ce gros abruti facho de Donald Trump a raison et que si tout le monde avait été armé, le bain de sang aurait été plus équitablement réparti ; peut-être que tous les gros abrutis fachos de ce monde ont raison, et que plus ils sont enflés de leur connerie, plus ils sont abrutis, plus ils sont fachos, et plus ils ont raison.
Peut-être que dans un monde intégralement dominé par la connerie, la peur et la violence, ce sont les plus cons, les plus paranos, les plus bêtement aggressifs, qui disent la vérité.
Quel sont alors les choix possibles, pour les autres ? S'adapter, c'est-à-dire laisser la grande, l'implacable connerie pénétrer par tous les neurones comme le bon uranium un jour de tremblement de terre, ou disparaître aussi vivement qu'un happy hour un vendredi soir.

 

15 NOVEMBRE 2015

 

Il m'arrive de lire, ici et là, l'idée selon laquelle notre société, ou bien nous, les personnes qui la constituons, seraient partiellement responsables, à travers nos façons de vivre et nos choix politiques, de ce qui vient d'arriver.

Je voudrais rappeler vite fait ceci :

Il ne faut pas tout mélanger et si, oui, la société que nous avons construite favorise l'existence de groupes sociaux qui n'ont que la déliquance comme possibilité de survie, en revanche le choix du crime de sang est le résultat d'un bien différent mécanisme.

 

Non, je ne me sens pas responsable du fait que des types expriment un désaccord politique en tuant une centaine de personne. Ces connards-là ont existé de tous temps, de toutes sociétés. Les assassins ne sont pas les victimes d'un déterminisme qui ne leur a laissé aucune autre possibilité. Ils sont des individus, qui ont fait des choix.

Quand à la responsabilité politique, hum. Ces connards ont autant de culture politique qu'un caniche. Ce sont juste des abrutis violents et bienheureux d'en découdre. Ça n'est pas sur un système qui les étouffe et les broie, ou broie et étouffe leurs frères d'armes du tiers-monde ou d'ailleurs, qu'ils tirent quand ils commettent des massacres aux terrasses des bistrots, non, non. Ils tirent sur leurs petites frustrations individuelles, sur leurs névroses personnelles.

Nous ne sommes pas massacrés par les soldats désespérés d'un tiers-monde qui viendrait - enfin - nous demander des comptes, non, non. Nous le sommes par des sales cons égoïstes et violents, à qui des criminels organisés ont fourni des armes et un savoir-faire. C'est pas vraiment la même chose.

 

3 NOVEMBRE 2015

 

Les français rêvent depuis toujours d'avoir un bon gros gouvernement facho à la Musolini ou Hitler ou Staline (non, pas Staline : trop ouvriériste), mais ils sont trop couille-molle et trop soucieux de ne pas passer pour des salauds, trop honteux de leurs propres idées pour voter ouvertement Marine Lepen. Il vont donc faire comme l'autre fois, quand ils embrassaient le cul de Pétain en homme de paille du Vrai Méchant : ils vont voter Juppé en espérant qu'il applique le programme du FN, et en s'offusquant qu'il ne l'applique qu'à moitié, tout en se débrouillant pour qu'on ne comprenne pas à cause de quelle moitié, celle qui est appliquée ou celle qui ne l'est pas, ils s'offusquent.

 

20 OCTOBRE 2015

 

La dérision me fait chier, l'ironie m'insupporte, le persiflage, ce signe d'impuissance absolue, me sort par les yeux, les oreilles, tout ce que vous voulez.
Tous ces gens qui ne sont pas assez crapules pour accepter ce monde de merde, pas assez dépourvus d'espoir pour se supprimer, pas assez violents pour prendre les armes et tenter par la force de changer quelque chose, pas assez intelligents pour produire des oeuvres de l'esprit qui pourraient modifier ce monde de merde, et qui s'en tirent par le ricanement, la parodie, la farce inoffensive, toujours inoffensive, qui par le clin d'oeil du taré adressé à ses congénères se mettent en règle avec leur conscience, j'en peux plus, j'en peux plus.

 

12 OCTOBRE 2015

 

Je ne dirai jamais assez combien il est important, pour un écrivain, de lire des romans pourris.
Là, par exemple, après avoir lu la moitié du Tribunal des âmes (un thriller italo-merdique à base de société secrête, de tueurs en série, de complot millénaire et de (baillement) flics intègres-mais-bourrus - ah, oui, y a même un mystérieux prêtre-flic-amnésique, la totale), j'ai eu assez de carburant pour écrire vingt feuillets de Descente.

Et pour La Place du mort, je ne remercierai jamais assez les oeuvres complètes de ce pauvre Philippe Djian.

 

La raison est simple, je crois. D'abord les mauvais romans jettent comme des cheveux gras dans une soupe froide des idées qui peuvent faire tilt avec votre propre réflexion et nourrir votre travail en cours - en gros, un tâcheron quelconque exprime mal une idée conne et qui n'a rien à foutre dans ses pages mais, par un jeu de ricochets mentaux, elle se transforme en une idée intéressante et originale et a tout à fait sa place dans votre bouquin à vous et vous voilà titulaire de quelques feuillets supplémentaires.

Et il y a autre chose, aussi. Lire un mauvais bouquin, c'est un peu comme méditer en regardant une bougie : c'est juste assez accaparant pour que la conscience ne batte pas la campagne, et juste assez ennuyeux pour que l'inconscient cavale, lui, dans tous les sens - et surtout à propos du texte sur lequel vous travaillez, bien sûr.

Voilà, donc, camarades romanciers, lisez un maximum de gros thrillers bidons ! (et, euh, lecteurs, lectrices, en revanche : arrêtez. C'est vraiment une littérature débile et ça va finir par vous abîmer le dedans de la tête).

 

29 SEPTEMBRE 2015

 

Dans le cadre de l'enquête que je mène, et qui n'intéresse que moi j'en ai peur, pour établir des différences objectives entre l'art et l'art amateur, je suis tombé sur ce truc, sur un forum de poésie. Un participant vient de poster un poème, un autre participant le trouve mauvais et le dit sans ambages, suite à quoi l'auteur du poème répond ceci : "Ah c'est marrant pour moi c'est le truc le plus fort que j'ai écrit depuis longtemps. Ça me serre le cœur de le relire. Pas de chagrin, de beauté."

 

D'où une hypothèse possible : l'artiste amateur poursuit, dans l'écriture (ou dans d'autres pratiques de création), un but d'expression personnelle, recherche une sorte d'épanouissement et il est, globalement, satisfait des objets qu'il produit.

L'artiste, lui, poursuit un but qu'il ne pige pas bien, a compris depuis bien longtemps que l'alcoolisme et le sexe (par exemple) sont des sources de bonheur bien plus fiables que la création et, globalement, il est fort mécontent de son travail (au point d'en faire des ulcères ou, comme Hemingway, des balles de fusils dans la bouche).

La réflexion se poursuit.

 

22 SEPTEMBRE 2015 : JOURNAL (1)

 

L'idée m'est venue d'une commande passée par deux personnes qui se sont révélées être une belle paire de gougnafiers, mais l'idée étant bonne, quoique guère originale, je la reprends à mon compte.
Il s'agit, de temps en temps, de rédiger quelques paragraphes que j'espère pas trop chiants, parlant de mon quotidien d'auteur.
En fonction de l'agrément que je trouverai à écrire ce truc, et en fonction aussi des réactions que ça suscitera, je le poursuivrai plus ou moins longtemps.

 

Ces derniers jours, j'ai plutôt rien branlé.C'est intéressant de ne rien branler. Je sors d'un bouclage intense qui m'a permis de rendre, avec des retards variés et après quelques semaines à bosser entre douze et seize heures par jour, un manuscrit de 300.000 signes et quelques textes courts, à toutes sortes de gens qui m'avaient demandé ces ouvrages. J'ai aussi "composé" (et il faudrait des guillemets beacoup plus gros que ceux dont je dispose) une reprise de Kraftwerk pour une compilation à paraître un de ces quatre. J'ai même dessiné une bestiole pour un projet artistique délirant. Je me transforme en artiste multimédia, ça fait un peu peur, on s'y habitue sans doute. J'ai trouvé du temps pour m'embrouiller avec deux imbéciles (ceux dont je parlais au début de ce texte), mais aussi pour répondre de manière narcissiquement extensive à une interview - le pauvre gars me posait des questions en apparence normale, et le voilà avec un avant-goût de mon autobiographie, un texte-fleuve où je raconte ma vie et mon oeuvre avec la pudeur d'un intermittent du spectacle gavé de MDMA.
Alors, depuis une grosse semaine, je glande. Je lis John Fante (c'est vraiment chiant, ce type est vraiment un emmerdeur, son lyrisme me file des cors aux pieds), je bouffe du chili, demain je vais à Paris pour ne pas recevoir le prix Sade et m'en mettre une bonne avec des amis, je me tape des siestes terrifiantes au terme desquelles je sors hagard dans la rue et me heurte aux scolaires qui rentrent chez eux. Je fais mon petit tour, exactement comme les vieux, puis je rentre jeter un oeil à mes manuscrits mais détourne le regard comme un type qui trompe sa femme ou oublie de souhaiter son anniversaire à son fils ; je repars à l'assaut de Fante.
C'est la belle vie, quoi. De temps en temps, je renifle mes aisselles à travers ma chemise et me dit qu'il serait bon de me laver celles-ci, de jeter celle-là au sale, mais à la place je me ressers un peu de chili et je tourne une page. Parfois j'écoute France Inter, qui me fait l'effet d'un voisin un peu idiot, légèrement sans-gêne, mais que je n'ai pas le coeur de renvoyer chez lui. Le genre de voisin divorcé, qui vient avec un pack de bière parce qu'il n'aime pas boire seul, et qui a perdu aussi bien le sens des réalités que celui de la politesse, très bavard, très chiant, encore plus autocentré que moi dans ce journal. Un peu comme Fante, en fait.

Voilà. A la prochaine.

 

14 SEPTEMBRE 2015

 

Je suis fatigué de tous ces gens qui remettent constamment en cause l'aspect marchand de la culture, à l'exclusion de tous les autres domaines de l'activité humaine. Je suis fatigué de tous ces gens qui font leurs courses, achètent leurs clopes, paient des chauffeurs de taxi ou la SNCF, ne fabriquent aux dernières nouvelles pas leurs fringues à partir de matières premières ramassées dans la nature et ne pètent pas non plus les murs des FNAC pour voler des I-phones mais qui, dans le même temps, s'étonnent que les concerts de musique underground ont un prix (oui parce que par contre payer quarante balles pour Cabrel ou Radiohead, ça les gène pas), que les dessinateurs qui bossent pour des fanzines vendent leurs oeuvres à des prix qu'ils fixent eux-mêmes, que les bouquins publiés par des éditeurs indépendants coûtent vingt balles et qu'il faut encore raquer si on veut voir l'écrivain debout sur une scène en train de lire ses merdes, et trouvent mesquins que les artistes, ces êtres supérieurs, aient la bassesse de réclamer des sous pour leur travail. Artiste tout le monde peut l'être, bêlent-ils, tout le monde peut faire de la musique (la preuve, les concerts gratos dans les bars à bière), tout le monde peut écrire des livres (la preuve, le super recueil de poésie de ma belle-soeur), et tutti quanti, alors pourquoi payer les quelques privilégiés qui y passent leurs journées, hein ?

 

Je pourrais me lancer dans un argumentaire savant, invoquer l'histoire de l'art, celle de la lutte des classes aussi, je pourrais démontrer un certain nombre de choses et parler de savoir-faire, de transmission, de morale, de philosophie, de politique, d'émancipation par la culture mais, figurez-vous que j'ai la flemme, et à tous ces gens-là je préfère dire, avec tout l'amour que je leur porte (et une pensée émue pour Oscar Pili) : BANDE DE CONS.

Quant aux autres, eh bien, continuez à nous filer votre pognon. On l'a pas volé, et on en fera bon usage, croyez-le bien.

 

4 SEPTEMBRE 2015

 

Ce qui se passe en ce moment autour de l'exposition organisée par le Dernier Cri, est la manifestation ponctuelle de l'affrontement répété entre deux visions du monde. D’un côté, une vision parternaliste de la population, qui ne connaît pas son bien, qui ne sait pas ce qui est mauvais pour elle, et qui a donc besoin qu’on la guide et qu’on la protège. Et de l’autre, la conviction que personne n’a à décider, en matière d’art et d’opinion, ce qui est bon ou mauvais, inoffensif ou dangereux. La philosophie qu'exprime Pakito Bolino en tant qu'éditeur et galeriste, et qu'accessoirement j'exprime en tant qu'écrivain, est très simple au fond : on a le droit de lire des livres dangereux, on a le droit de voir des images dangereuses. On a le droit de s’en trouver blessé ou choqué. On a le droit de se faire mal, tout comme on a aussi le droit de se tenir à l’écart de toute source potentielle de douleur. Mais c’est un choix qui nous appartient. Personne n’a à décider à notre place que nous ne devons pas souffrir, car nous sommes adultes.

 

24 AOÛT 2015

 

Au fond (cette réflexion me vient en lisant Rock & Folk, qui dégouline de toute cette mythologie à base de Boss, de Patron, de King, etc.), le problème n'est pas tellement que les mecs soient si prompts à sortir leur bite pour en comparer la taille, mais plutôt qu'ils recherchent désespérément qui a la plus longue, et ne se sentent apaisés qu'après l'avoir trouvée et y avoir fait allégeance.
Bande de cons.
Allez jouer à Star Wars avec vos queues, pendant ce temps je crois bien que je vais enfiler mon plus beau string et aller voir mes copines : je ne les ai pour l'instant jamais vues se mettre à genoux devant celle qui a les plus gros nichons.

 

15 AOÛT 2015

 

Quand dans "A l'ouest, rien de nouveau", je lis une phrase comme : "Le squelette s'élabore", je suis achevé d'être convaincu que bien écrire est le contraire du style, que bien écrire consiste justement à s'en débarrasser, et que la question n'est pas de trouver la meilleure formulation possible pour exprimer une idée ou un sentiment, ou donner à voir quelque chose, mais bien de trouver la SEULE formulation possible, c'est à dire celle qui soit la plus précise, la plus exacte, la plus concise, et quand je dis la seule possible je ne veux pas dire relativement à toutes celles qui pourraient venir à l'esprit de l'auteur, je veux dire absolument la seule, parmi toutes celles qui pourraient venir à l'esprit de tous les auteurs morts ou vivants, passés ou à venir. Bien sûr, c'est une réussite à quoi l'on parvient rarement. Et on mesure donc la grandeur d'un écrivain, ou celle de ses livres, à la proportion de phrases de ce genre-là, de phrases, au sens le plus simple donné à ce mot, parfaites, parmi toutes celles qu'il a écrites.
Ainsi, on peut dire que l'écriture est l'expression d'une pensée, d'une observation du monde, plutôt que d'une sensibilité esthétique ou émotionnelle.
Et c'est en ces deux caractéristiques, je crois, que l'écriture se sépare radicalement des autres arts, où le style me semble au contraire prépondérant, et une qualité souhaitable, et où la valeur des artistes se mesure à l'importance et à l'étendue de leur sensibilité.

 

6 AOÛT 2015

 

Le problème n'est pas tellement que Love, de Gaspar Noé, soit brusquement, et après une série d'hésitations ridicules, interdit aux moins de 18 ans. Le problème n'est même pas que le type à l'origine de cette interdiction ait des arguments sensés ou pas, ou soit une crapule ou pas (certains de ses arguments sont sensés ; c'est en effet une crapule ; la vie est un endroit ambigü).

Ca n'est qu'un détail, ça.

Le problème, c'est qu'en France, apparemment, faire un film que seuls des adultes auraient le droit de voir équivaut à un suicide commercial.

 

Le problème, c'est donc que les gens qui fabriquent le cinéma (les cinéastes, les producteurs, les distributeurs, les exploitants) soient à ce point convaincus qu'il s'agit d'une forme d'art prioritairement destinée aux enfants et aux adolescents. Mais, merde ! Qu'est-ce que ça peut foutre, qu'on interdise aux morveux d'aller voir Love ou La vie d'adèle ou je ne sais quel autre film ? QU'EST-CE QUE CA PEUT FOUTRE, A LA FIN ?!

Ou alors, il faut admettre une fois pour toute que le cinéma est une forme d'expression strictement destinée aux morveux, que les adultes y sont tolérés à conditions qu'ils ne fassent pas trop chier, et on arrête avec cette mascarade de films à prétention artistique. On ne fait plus que du Marvel, du Dany Boon et de la comédie romantique de mon cul, et les films artistiques on les balance sur Internet et dans les musées, et qu'ils crèvent, les cinéastes qui ont l'ambition de fabriquer des films destinés aux adultes, puisque personne ne semble imaginer, même pas eux-mêmes, que faire un cinéma destiné aux seuls adultes est une activité noble et nécessaire.

(C'était le message d'un réactionnaire de quarante piges qui en a marre qu'un film sur deux raconte l'existence de mecs en collants fluos qui envoient des boules de feu à la gueule d'autres mecs en collants fluos)

 

14 JUILLET 2015

 

Les seules valeurs que véhiculent les séries américaines, à grand renfort de phrases débiles du genre "tout ce que tu désires assez fort, tu mérites de l'avoir" (et à chaque fois j'ai envie de gueuler ah ouais, crétin, même si mon désir le plus ardent c'est de dévorer des bébés cuits à la broche ??), c'est le dépassement de soi, et la conviction - et la conviction est exprimée en permanence dans le jeu des acteurs, qui demandent l'heure qu'il est, ou de leur apporter une bière bien fraîche, comme si leur vie en dépendait (et cette même façon de s'exprimer on la retrouve dans ces autres simulacres que sont, à la télé US, les talk-shows, les journaux télévisés et les discours de personnalités publiques) ; et enfin la rédemption, la formidable rédemption, la putain de rédemption.
C'est quand tu regardes des séries télés ricaines, que tu comprends pourquoi la CIA préfère flinguer Ben Laden et compagnie, plutôt que de les arrêter et les juger : pour ne pas subir le spectacle de leur remord en direct sur toutes les chaînes, pour ne pas les voir se transformer en héros en vertu de cette loi narrative (et désormais morale) stupide qui veut que plus tu es une crapule, plus tu as de kilos de malfaisance à surmonter et à expier, plus on t'aime si tu parviens à convaincre ton public que tu t'es amendé.
Ha, je le vois d'ici, le mec de Daesh, laissant aller ses larmes de contrition dans un late show, et le présentateur qui se lève pour lui faire un câlin, et la communion avec le public qui chiale et applaudit.
Mais bande de cons, putain.

 

3 JUILLET 2015

 

A chaque fois qu'on dit "la censure", on se trompe. Ca n'existe pas, LA CENSURE, ça n'existe pas plus que LA FINANCE, mettons.

LA CENSURE, ça a existé : ce fut un organisme qui avait précisément cette fonction : censurer, au nom de règles détestables et connues. Et puis LA CENSURE a passé, et pourtant des livres parfois ne paraissent pas, des films parfois ne sortent pas, des expositions, des concerts, que sais-je.

 

Il serait plus judicieux, cependant, au lieu de dire "Machin a été censuré", de dire "Truc a empêché Machin de faire ceci, de publier cela".

Vous sentez la différence ? Voix active contre voix passive, déjà. Le pauvre Machin n'est pas une sorte de marionnette dans quoi on enfile la main, et qui ensuite est agitée. Non. Machin s'agite par lui-même. Il est un être humain adulte. La voix active nous rappelle que des forces s'exercent contre Machin, qui lutte, qui ne l'emporte pas toujours, qui en tout cas n'est pas balloté sans réagir.

Et, surtout, dire Truc au lieu de LA CENSURE, c'est nommer l'ennemi. Il faut toujours nommer l'ennemi. Merde.

 

2 JUILLET 2015

 

C'est un peu difficile, de chialer avec Despentes quand, à travers l'un de ses personnages, elle se plaint que l'underground de sa jeunesse s'est compromis, s'est vendu, s'est rangé ; c'est difficile de chialer avec elle alors que tes amis, qui ne sont plus jeunes depuis longtemps, c'est les gens qui font vivre le Raymond Bar, c'est les gens qui font vivre Relax, c'est les gens qui font vivre l'Hôtel des Vil-e-s, c'est les gens de chez Konsstrukt, c'est les gens des Pavillons Sauvages, c'est Jean-Louis Costes, c'est le Dernier Cri, c'est Alexis de Rennes, c'est Olivier de Marseille, c'est Noir Boy Georges, c'est tout un tas de francs-tireurs trop nombreux pour que je puisse les voir tous d'une seule pensée. Oui, c'est un peu difficile.

 

C'est un peu difficile, de suivre Despentes, qui est passée de Lyon à Paris, passée de Florent Massot à Grasset, quand elle chiale sur la compromission des gens qui à vingt ans ouvraient des squats et ouvrent à quarante le portail automatique de leur résidence secondaire. On a plutôt envie de lui dire que ce sont ses copains qui étaient sans doute des merdes à vingt ans, et qu'à quarante hé bien ils sont devenus des merdes opulentes, et qu'elle devrait aller voir, un peu, ce qui se passe dans les caves de province, aller voir ce que sont devenus ceux qui ont décidé de ne jamais pointer, et qui l'ont fait, et qui vingt ans après le font encore.

A part ça, Vernon Subutex est un bouquin parfaitement creux et parfaitement agréable. C'est, très exactement, du Philippe Djian réussi. C'est le son du piano-bar qui accompagne ton repas dans les restaurants chics, le solo de basse du groupe de jazz dans ce bar à cocktails, qui dure dix minutes, qui pourrait durer dix heures. Vernon Subutex dure mille pages, il pourrait en durer quatre mille, il y a deux tomes, il y a trois tomes, il y a quatre tomes, il pourrait y en avoir quinze. Despentes est à son affaire, elle est bien, nous aussi, c'est con comme une série télé, c'est vide pareil, c'est flatteur et vernis d'intelligence, flatteur parce que vernis, flatteur parce que ça t'apprend ce que tu savais déjà par coeur mais en employant un ton qui te donne l'impression que tu découvres le monde en même temps que le livre. Une série télé, oui, ou un solo de jazz, donc, à la fois toujours pareil et toujours surprenant, d'une redondance inépuisable, ennuyeux quand on l'écoute attentivement, parfait en fond sonore pour avaler ses bières et causer entre amis.

Allez, j'y retourne, j'ai pas terminé tout à fait le tome deux.

 

2 JUILLET 2015

 

Je n'ai pas choisi d'être écrivain par amour particulier de la littérature, même si cet amour a fini par venir, mais parce que c'est la seule activité qu'il est possible de pratiquer chez soi, durant toute une vie, sans jamais sortir, sans que jamais personne ne s'y intéresse, et pourtant c'est tout de même une activité. Ecrire n'est pas juste rester allongé sur son lit et attendre la mort en fixant son plafond, c'est ça aussi bien sûr, mais en plus on fait quelque chose, on accumule des phrases, l'oisiveté totale est teintée de quelques gestes. J'ai choisi d'être écrivain parce que c'est la meilleure façon possible, quand on a trop peur pour vivre et trop peur pour mourir, de ne pas faire partie du monde mais de faire quand même partie de quelque chose.

 

20 JUIN 2015

 

Bribe de dialogue, à l'hôtel ce matin, entre un couple de vieux et moi :

Le monsieur : Vous êtes Suisse, vous aussi ?
Moi : Non, je suis de Clermont-Ferrand.
- Comment ?
- De Clermont-Ferrand.
- Comment ?
- DE CLERMONT-FERRAND !
- Comment ?
Le gérant de l'hôtel : IL EST DE CLERMONT-FERRAND !!
- Aah ! (A sa femme : ) Il est auvergnat ! (A moi : ) J'avais des cousins à Clermont-Ferrand. Ils sont tous morts.

 

JANVIER 2015

 

Chers lecteurs-trices,

 

Je viens d'apprendre que Nicolas Castelaux, qui était jusqu'à présent auteur au Camion Noir, est devenu le directeur de cette collection (source : http://www.vs-webzine.com/METAL.php?page=INTERVIEW&id_news=1739&droite)

 

Il y a presqu'un an, j'y ai publié mon roman La place du mort, qui dans le catalogue est daté du 22 mai 2014 et référencé CN094. A cette époque-là, ça n'était pas Nicolas Castelaux qui dirigeait la collection, et la personne avec qui j'ai travaillé s'est révélée parfaitement compétente, humainement charmante, et pour dire les choses de la façon la plus courte possible, je n'ai aucun reproche, et que des compliments, à lui adresser.

 

Donc, Nicolas Castelaux, je n'ai pas travaillé avec lui, et tant qu'il sera directeur de collection au Camion Noir, il est évident que je ne soumettrai pas le moindre manuscrit à cette maison et que je n'achèterai plus un seul de leurs livres.

 

Qui est Nicolas Castelaux ?

 

Nicolas Castelaux est un auteur qui a publié, entre autres, un livre sur Ted Bundy, un autre sur la production artistique et littéraire des tueurs en série, un autre sur Ricardo Ramirez.

 

Nicolas Castelaux est également le pseudonyme de Nicolas Claux, condamné en 1997 pour meurtre avec préméditation. (Source : http://www.leparisien.fr/espace-premium/actu/detenir-une-part-du-croque-mitaine-qui-me-terrorisait-enfant-05-02-2012-1846057.php)

 

Après avoir lu une interview que Nicolas Castelaux a donné à Vice Magazine (en ligne ici : http://www.vice.com/fr/read/l-ami-du-mal-396-v4n5), je me suis senti en profonde contradiction avec les opinions qu'il exprime, ainsi qu'avec sa manière de les exprimer, sur des sujets tels que le crime, la violence, le cannibalisme ou la transgression.

 

Aussi, par ce communiqué, je souhaite que mes lecteurs-trices prennent connaissance du fait que je me désolidarise complètement de la collection Camion Noir, que je ne veux plus y être le moins du monde associé, ni moi, ni le livre que j'y ai fait paraître.

 

Christophe Siébert.

 

Autres sources :

 

http://www.angelfire.com/psy/claux/ (partiellement en anglais)

 

http://murderpedia.org/male.C/c/claux-nicolas.htm (en anglais)

 

18 AOÛT 2014

 

Sur Internet, sur un forum, j'ai trouvé ça :

« Sous l'étain pas dans la boue un chien qui hume un tas qui geint l'obscurité glisse vers la terre grasse l'enchevêtrement brun des restes et glisse encore. Les sols gorgés exsudent les sucres de la pourriture pour des coquelicots frémissants en devenir sous la croûte. De là partent galeries conduits humides boyaux visqueux qui s'enfoncent toujours plus profond dans la germination. C'est ainsi qu'un organisme éclot tout en bouche, un filet de voix noyé à l'hélium. »

Bon. Ça me fait penser, moi, qu'il y a deux écoles, en littérature : ceux qui s'efforcent de trouver la forme la plus simple et la plus efficace pour faire passer des idées ou des émotions complexes, et ceux qui font l'inverse. Ceux-là on le retrouve souvent sur les forums de poésie. Quand j'ai débarqué sur Internet il y a quinze ans, me disant que ce serait un bon moyen de me faire connaître et de trouver des lecteurs – un meilleur moyen, en tout cas, que ce que je faisais à ce moment-là dans ce but, c'est à dire : rien, j'ai fait un petit tour de ce qui s'écrivait, se lisait, se commentait. Il y a une chose qui m'a frappé. Je me suis dit mais bordel, comment faire pour que tout le monde pige de suite que je ne fais pas partie des 95% de tarés qui écrivent de la merde et prennent Internet pour leur déversoir personnel, que je suis un véritable écrivain et pas un débile qui fantasme à l'être ? Ça peut paraître arrogant mais je savais qui j'étais. Je savais que j'étais un mauvais écrivain, c'est à dire un écrivain débutant, sans presque aucun moyen technique, sans discipline, sans que dalle, mais, merde, un écrivain quand même. Je savais que je n'écrivais pas, que je n'écrirais jamais, « sous l'étain pas dans la boue un chien qui hume un tas qui geint » ; je le savais. Et puis j'ai roulé ma bosse, bon. Maintenant je m'éloigne d'Internet. Mais je suis content de constater que depuis tout ce temps le niveau s'est un peu élevé. C'est à dire, les incapables le sont toujours et sont toujours là (il n'y a pas de miracle), mais la jeune génération est meilleure, même s'il n'y a pas souvent de quoi s'en relever la nuit. Bref. Et tandis que je méditais sur l'incroyable beauté de « l'obscurité [qui] glisse vers la terre grasse », j'ai reçu un mail. Vous verrez, il y a quelques phrases qui percutent aussi. Il faudrait, je pense, que quelqu'un tisse des liens théoriques entre la poésie expérimentale du dimanche et les spams automatiquement traduits. Il faudrait un universitaire un peu cinglé.
« Bonjour, Je suis tombé sur votre adresse e-mail lors d'une promenade dans mon temps libre sur internet et c'est là que j'ai décidé de vous contacter dans la mêlée pour vous parler de mon but, car il est dans le fer au feu devient acier et la trempe. C'est la douleur que l'homme est la révélation de sa force. Je souffre d'une maladie qui dégrade ma santé au quotidien et la médecine ne pouvait rien faire pour me sauver pendant trois ans. Conscient de ma décision, j'ai décidé de vous écrire pour vous avoir une affaire avec vous pour sauver les enfants atteints de maladies graves. Je veux mettre dans mon procession des fonds d'une valeur d'environ € 800 000 (cent mille Euros Hui) que j'ai gardé dans une banque parce qu'ils n'ont personne qui peut bénéficier de ma propriété. »

Sinon c'est la rentrée littéraire, bientôt. On parle déjà des premiers livres publiés par les nouveaux romanciers de cette année. Quelques éléments biographiques filtrent dans la presse : étudiante en philosophie ; éditeur ; journaliste ; auteur d'une thèse de philosophie ; ancienne libraire devenue journaliste ; éditorialiste des Inrocks ; étudiant à Normale-Sup. Woaw. Juste pour comparer, quelques éléments biographiques des crevards de La Grosse Revue : employée d'un laboratoire d'analyses ; guide touristique ; femme de ménage ; chômeur ; bénéficiaire de l'AAH ; travailleur social ; prof en mi-temps thérapeutique ; suicidé – bon, j'arrête là la liste, vous avez pigé l'idée.

Moi, je ne tire de tout ça aucune conclusion. Vraiment, aucune. A part que c'est toujours pas cette année que je vais camper devant la FNAC en attendant septembre.

 

10 MAI 2014

 

CONTRE LE STYLE ET CONTRE LES STYLISTES, CONTRE LA DISTRACTION ET POUR LA JUSTESSE, POUR LE PANACHE EN TOUTES CHOSES, quelques phrases pour expliquer les raisons qui me poussent à écrire un roman comme La place du mort, dans lequel une héroïne qu'on pourrait qualifier d'idiote et de cinglée, ce que je ne fais pas, moi, explose en plein vol et dans une grande violence alors que tout ce qu'elle cherchait, à travers une débauche de sexe, c'était à s'arracher à la lourdeur contemporaine ; et quelques phrases aussi pour expliquer les raisons qui me poussent à écrire en général, c'est à dire pourquoi j'écris, et contre quoi.

Je voulais donner la parole à une qu'on croit folle et qu'à la fin on se demande qui est fou et qui ne l'est pas, et si au bout du compte devenir fou n'est pas la seule stratégie moralement acceptable dans un monde pareil ; je voulais donner la parole à une qu'on juge folle, parce qu'être folle dans la société contemporaine c'est apporter une solution désespérée à un problème sans solution, à savoir l'oppression des femmes, qui est la mise en abyme de l'oppression de tous.

Je voulais parler aux femmes dont la vie part en couilles, et aussi à quelques hommes qui y sont sensibles et doivent faire face à leurs désirs, leurs lâchetés, leurs frustrations, leurs insuffisances, et le meilleur moyen de leur parler était de mettre en scène Blandine, qui a une vision du monde très noire, très libre, très féministe, ou plutôt dont les revendications sont au féminisme ce qu'Action Directe est au Marxisme, et je voulais que ces femmes-là, et aussi quelques hommes, adhèrent à ce roman et aiment ce personnage comme une des leurs, une qui aurait encore plus mal tourné qu'elles, une qui aurait vu encore plus loin et encore plus noir, et je sais que certaines l'ont aimée, Blandine, et j'espère que vous l'aimerez aussi, jusque dans ses actions les plus cinglées et les plus violentes.

Je voulais énormément de sexe et énormément de violence, et je le voulais à travers un point de vue féminin, parce qu'il m'importait de continuer, par d'autres moyens, le dialogue entamé par Baise-moi et par King-Kong théorie de Despentes ; je voulais développer une manière de penser qui soit nihiliste, instinctive, romantique, individualiste, dépolitisée et sans réflexion, pour l'opposer au monde, que je trouve nihiliste, rationnel, froid, totalitariste, politisé et intelligent ; je voulais rappeler que l'existence, dans ce monde, est une lutte permanente entre des aspirations individuelles (fussent-elles violentes, criminelles, stupides ou au contraire paisibles, bonnes et sensées) et un déterminisme historique et social qui nous contient presque tout entier, et que dans ce presque tout se joue, à la fois la chance d'exister pleinement et la douleur de ne pas y parvenir, et je crois que bâtir des fictions regorgeant de malheur, de violence et de sexe constitue le meilleur moyen de montrer à l’œuvre cette dualité.

En écrivant ce livre, je voulais déclarer la guerre aux stylistes actuels car je pense que l'écriture, la vraie, c'est la recherche de la justesse contre le style, que le style c'est ce qui se voit et que ce qui se voit c'est ce qui est faux, et que les écrivains que je tiens pour les plus grands, et ceux qui m'ont le plus influencés, représentent la mort du style et donc la victoire de la justesse et donc celle de la littérature ; je voulais aussi déclarer la guerre aux bonnes intentions, aux bons sentiments et aux livres qui sont là pour distraire, parce que je pense que la littérature doit être animée de mauvaises intentions, de mauvais sentiments, et qu'elle n'est pas là pour vider la tête mais au contraire pour la prendre, que la littérature est là non pas pour tenir le lecteur éloigné des soucis mais pour lui en fournir d'autres encore, et davantage, et davantage encore, et même des soucis auxquels personne n'avait pensé, et que la source du plaisir littéraire se situe là précisément et nulle part ailleurs, et sûrement pas, surtout pas, dans une quelconque élégance formelle ou dans une manière docile de tenir le lecteur éloigné de l'enfer.

En écrivant ce livre, enfin, je voulais rappeler que la bonne littérature est lourde, brutale, crasseuse, braillarde, qu'elle n'est pas légère, fine, propre, courtoise ; je voulais rappeler que la littérature est une exacerbation de la vie telle qu'elle ne va pas et que c'est de là que vient le plaisir de la fabriquer et de là aussi le plaisir de la lire.

 

 

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